DJ Yung Vamp, pionnier du phonk assoiffé de sang

Les vampires sévissent une fois le crépuscule tombé, c’est bien connu ! Yung Vamp, lui, passe la plupart de ses nuits terré dans sa grotte à composer des breuvages dont il est le seul à posséder le secret. Légende de SoundCloud avec ses OGs du Purple Posse, l’artiste fait partie d’une génération de producteurs qui a su mettre le phonk au premier plan à une époque où la plateforme au logo orange explosait de tous les côtés. Pourtant, et malgré une reconnaissance planétaire, peu de gens savent qui se cache derrière le jeune vampire. Originaire de Liège, cité ardente où il a grandi, Vamp décide de bouger sur la capitale belge par désir d’expansion. Mais la Belgique reste un territoire trop petit pour un buveur de sang de ce calibre. Pas de Transylvanie au programme, Yung Vamp a soif d’Amérique et les crocs bien affûtés pour ce qui se dresse devant lui.




Tu regardais quoi comme dessins animés quand tu étais plus jeune ?

Quand je vivais avec mes parents, je n’avais rien le droit de mater à la TV à part Les Simpson. Un épisode tous les soirs, et ça a été comme ça jusqu’à mes 10 ans, jusqu’à ce que je bouge chez mes grands-parents. Chez eux, j’ai découvert d’autres bails : Boomerang, Cartoon Network… Tout en continuant à suivre Les Simpson. J’ai eu une grosse période Yu-Gi-Oh! et Pokémon aussi. La cour de récréation n’a pas pu empêcher ce genre d’influences, qui ont par la suite eu un gros impact sur mes prods.

Ta famille t’a fait baigner très tôt dans la musique, n’est-ce pas ?

Mon père écoutait énormément de techno, ma mère était à propos de techno et de drum’n’bass aussi. Le week-end, j’allais chez mes grands-parents. Chez eux, le programme était plus jazz, blues ou rock du Bronx des années 60. Rien à voir ! Du coup, je me suis pris plein de claques et d’univers musicaux différents. Ce qui m’a le plus fait kiffer, c’était le côté jazz, blues et rock avec mes granps’. Je flip des morceaux comme ça tout le temps. S/o papi et mamie.

Comment as-tu commencé à te mettre aux prods ?

De base, je voulais juste être DJ. Mon père avait des vieilles platines Technics. Il me portait et me posait les mains sur les vinyles en mode : « Tiens, regarde ce que ça fait ! » Par la suite, je montais sur des tabourets pour m’entraîner, ça m’a vraiment plu. J’ai continué à mixer jusqu’à mes 15-16 ans. Un jour, je me suis éclaté la jambe sur un pipe. Je skatais énormément. Ma rotule était morte, je suis resté enfermé six mois avec juste un laptop et la TV pour passer le temps. J’ai un pote qui est passé une fois et qui m’a installé Fruity Loops sur l’ordinateur. La grosse découverte ! Je n’avais plus envie de mixer les sons des autres, je voulais créer ma vibe. Très vite, je suis passé sur Ableton. C’est beaucoup plus fluide et simple pour moi. Il m’a fallu au moins un an avant de créer quelque chose de potable, puis je me suis lancé.

L’autre jour, tu me parlais de tes débuts, quand tu as commencé à upload des tracks sur SoundCloud vers 2013-2014. Quel souvenir gardes-tu de cette époque ?

Je viens même d’avant. J’ai sorti des mix sous un autre nom, Wankaz. Ça veut dire « branleur » à Londres. À 15 piges, j’étais à fond sur le cloud, la toute première interface, et je droppais juste mes sets. Ensuite, j’ai switch et je me suis renommé DJ Yung Vamp. J’ai galéré presque un an pour taper des gros scores, le premier 10k sur un son, les premiers 1000 abonnés. C’est vraiment ça qui a pris le plus de temps, j’avais l’impression que ça durait une éternité. Et puis j’ai release « I Got Molly I Got White », je ne sais pas ce qui s’est passé avec cette prod, mais ça a tout cassé.

Ça a débouché sur plusieurs collaborations.

Tout était plus simple, les gens n’allaient pas sur Instagram se DM pour travailler ensemble, ils passaient directement par SoundCloud. Le côté découverte, en tant qu’auditeur ou artiste, était réel. Toutes les deux minutes, tu avais des nouveaux sons qui sortaient. Aucune publicité, écoute illimitée. Les gens checkaient vraiment le feed, la valeur du repost était énorme. Aujourd’hui, tout ça s’est envolé. Le côté recherche a presque disparu, et le partage également. RIP SoundCloud ! Mais personnellement, je continuerais à poster sur ce site jusqu’à ce qu’il ferme. J’aurais été là du début à la fin (sourire) !

Qui sont les premiers gars avec qui tu as noué contact sur la plateforme ?

Soudiere, c’est ma toute première connexion ! C’est parti du cloud. Cette communauté, elle peut créer des vrais liens, comme j’ai pu avoir avec Lil Peep ou encore le Schemaposse. Rien que notre crew à nous, le Purple Posse, on s’est déjà à peu près tous rencontrés. On se capte régulièrement sur Skype. On a ce truc qui rapproche les artistes entre eux, ça n’existe pas sur Spotify et je trouve ça vraiment dommage. Tu likes, tu mets le son dans une playlist si tu en as une, mais tu ne peux pas commenter, repost ou DM l’artiste comme sur SoundCloud. C’est juste du stream pour du stream. […] Di-Meh aussi c’est le gars, un de mes tout premiers Gs. Et Freeze, il ne faut pas oublier la légende Freeze Corleone. C’est un des premiers qui m’a envoyé un message en mode : « Yo bro, il me faudrait des prods. » Je lui ai envoyé un ou deux packs, il n’a jamais rien fait avec. Pourtant, il a continué à me prendre des leases pendant un temps. Le contact s’est grave perdu car il a arrêté de drop des sons sur la plateforme, il s’est plus focus sur YouTube et ça a payé pour lui.

Niveau US, tu écoutais qui à ce moment ?

Sur le cloud ?  J’écoutais de ouf Loud Lord, Smokey, Kaytranada, Mr. Carmack, IAMNOBODI… Et le crew Soulection en général. C’était grave les pionniers à ce moment, ils sont arrivés avec du feu. Sango et tout… Après à la même époque, j’écoutais toujours les Three 6 Mafia, DJ Screw, Busta Rhymes, Missy Elliott…  Je suis un grand enfant perdu des années 2000.

Comment s’est déroulée ta rencontre avec Soulja Boy ?

Je crois que je dois ma carrière pour au moins un cinquième à ce type, parce que j’ai utilisé une acapella de lui sur un son qui a grave pop.

L’acapella de « Turn My Swag On » il me semble.

Ouais, sur « Hopped Up » ! Je saignais grave sa musique, c’est vraiment ma plus grosse source d’inspiration. Le mec a créé des sapes, un label… Il a monté un empire.

Et tu as fini par faire une session studio avec lui.

J’étais à Los Angeles. Mon manager sur place a ramené plusieurs artistes en studio cette semaine-là : Lil Mosey, Thouxanbanfauni, Hoodrich Pablo Juan… Un matin, il m’appelle, il me dit : « Soulja Boy, ça te dirait ? » J’étais là : « Come on, bro ! » Au final, le mec s’est vraiment pointé avec 15 Gs à lui, tous armés, je me demandais si ce que j’étais en train de vivre était réel. Mes jambes, elles faisaient le stanky legg, c’était n’importe quoi (rires). Je me suis timidement présenté, puis je lui ai passé une prod. Au bout de 15 secondes, il a demandé d’arrêter en mode : « Yo, put me in the booth, put me in the booth ! » Après ça, la session a duré toute la nuit, c’était dingue. Deux semaines plus tard, il avait la flemme de venir jusqu’à notre studio et nous a invités chez lui, dans les Hills. Je voyais cette maison dans les clips depuis que j’avais 13 piges. Il y avait encore toutes ses collections Bape, son vieux merch, ses Soulja shoes et plein de chaînes. C’était le plus gros drippeur de la planète, il a inspiré tellement de gars ! J’en ai pleuré de joie quelques jours après.

Qui sont les autres gars avec qui tu rides en Europe, en France comme à l’étranger ? Et comment tu résumerais la mentalité de votre courant ?

L’authenticité, gros. Que ce soit Soudiere, Hym, Mythic, Roland Jones, Smokey, 6-6-6 ou même moi, on fait tous le même style, avec la même volonté et la même intuition musicale. On se base sur les mêmes influences qui datent des années 90, de ce qu’on kiffait quand on était gamins. Par contre, on sonne tous différent. Soudiere est beaucoup plus réservé dans sa personnalité par exemple, il est plus sad – même si ce n’est pas un sadboi. Il a ce côté davantage mélancolique, seventies, eighties. Tu le ressens dans ses samples. Roland Jones, c’est l’opposé. Le mec vient de Russie, il a presque 10 piges de moins que nous et il déboule avec des tracks qui nous mettent des claques ! On a pris un coup de vieux (sourire). Tu sens qu’il est plus dans le dirty south, les intonations violentes, le sarcasme, les films d’horreur, les jeux vidéo…

Avec la nouvelle génération de producteurs qui arrive, tu penses que le Purple Posse va s’agrandir ?

Non. Depuis qu’on a commencé, il y a des milliers de producteurs qui se sont inspirés de nous. Ils reprennent les mêmes samples, mais ça ne sonne pas pareil. Il n’y a pas de punch dans le mix, ou alors c’est trop saturé. Notre crew risque de rester figé encore quelques années. Trop de petits qui arrivent pensent qu’on a inventé le phonk, alors qu’en vrai on l’a juste fait revivre. En tant que producteurs, on a surtout permis à la scène phonk d’exister, ce qui n’était pas le cas auparavant. Il n’y avait que la scène rap qui était connue : $uicideboy$, Pouya, Schemaposse… Mais aucun producteur n’a pété dans le lot, on est les premiers beatmakers à avoir été popularisés et mis en avant en tant que tels. Ce qui me dérange dans l’histoire, c’est le manque de recherche. Tu as des jeunes qui pensent que les Migos ont inventé la trap. Ils n’ont aucune idée des travaux qu’on fait T.I., Gucci Mane ou même la Three Six Mafia. Ils se contentent de reproduire ce qui marche.

Quels sont les jeux vidéo qui t’ont construit quand tu étais petit ?

Le premier qui me vient à l’idée, c’est Parappa the Rapper, un jeu sur PS1. Il s’agissait d’un petit personnage, un rappeur, dans un monde coloré complètement fou et il fallait lui faire faire des animations. Basique, quoi. Ensuite j’ai eu Def Jam : Fight For NY, Ratchet & Clank… Puis la PS2 est sortie. Ma mère m’a cop Need For Speed : Underground. C’était le jeu qui cartonnait à l’époque, il a beaucoup participé à ma culture. Un peu plus tard, il y a eu Grand Theft Auto : Vice City. Je devais aller jouer chez des potes, c’était chaud à l’époque ! Le premier GTA que j’ai vraiment eu chez moi était San Andreas. Mes grands-parents étaient trop vifs. Je devais faire genre que c’était un jeu de simulation, et dès qu’ils avaient le dos tourné je rentrais les cheat codes et je butais tout le monde (rires).

Tu m’as confié que Tokyo Drift était un film qui t’avait énormément inspiré. Il y a d’autres œuvres qui ont eu cet impact sur toi ?

Matrix ! Si je n’avais pas vu Matrix, je n’aurais pas choisi ma pilule. Je serais juste un élément de la matrice, pas l’un de ceux qui la contrôlent. Inception aussi, ça m’a marqué de fou. C’est toujours un truc avec une drogue ou des pilules (sourire). Ça paraît trop réel. Sinon, les Pirates des Caraïbes m’ont bien fait goleri, comme les classiques Spider Man et les Bad Boys. J’ai aussi saigné les vieux Marvel, et quelques films d’horreur, genre Jason, Vendredi 13, Scream… Ça me faisait plus flipper à l’époque, j’avoue, mais ça reste des grosses parts d’inspi encore aujourd’hui. […] J’ai failli oublier Flubber. La première fois que j’ai vu du slime à l’écran !

Les artistes phonk ont pour marque de fabrique de sortir un mix de leur tape le jour de release. Tu peux m’expliquer ce qui est important pour vous dans cette démarche ?

On le fait tous d’une façon différente. Moi, par exemple, j’ai voulu direct m’attaquer au mix puis sortir mes tapes en tracks individuels sur Bandcamp ou Spotify, avec quelques différences. Les mixtapes, c’est un méga évènement pour notre scène. Ça hype les gens et c’est trop bien de pouvoir condenser tous les commentaires, les likes, les reposts à un seul endroit. Quand je prépare une tape, je n’essaie pas de mettre les dix plus beaux sons que j’ai faits bout à bout. Je veux proposer une expérience, que les titres collent ensemble et forment un tout. Si tu écoutes les différents volumes de mes projets, tu peux ressentir des ambiances, voire des époques. Tu manges une vingtaine de morceaux, tu plonges dans un univers qui peut te transporter une ou deux heures. Notre public sait que c’est important pour nous, ils attendent parfois de longues périodes avant qu’on drop quelque chose. De mon point de vue, il vaut mieux lâcher un bon contenu deux fois par an et créer un évènement de psycho.

Avant le confinement, tu me parlais de ton souhait de déménager aux USA. C’est toujours le cas ?

En 2019, j’ai eu l’occasion d’y partir trois mois et j’ai réussi à entreprendre plus de choses qu’en quatre années à Bruxelles. Depuis que je suis revenu, j’ai pas mal collaboré. J’ai fait un disque d’or avec Mister V, quelques sessions studio avec Hamza… Je ne suis pas resté sur mes acquis en mode : « Ouais, la flemme, je suis en Belgique, c’est mort. » J’ai vraiment donné deux fois plus pour pouvoir rebondir là-bas. Ce que je remarque, avec du recul, c’est que j’ai perdu grave de maille et d’intérêt en restant ici. Je ne suis pas dans l’élément où les gens s’attendent à me trouver. Moi-même, ça me fout une claque chaque matin de me réveiller et de ne pas être aux states. Je n’ai pas l’occasion de bosser avec les artistes avec qui je communique tous les jours, et encore moins d’aller en studio jusqu’à cinq heures du matin avec les rappeurs que je kiffe. Donc ouais, dès que j’ai l’occasion d’y retourner, j’y retourne d’office.

Depuis plus d’un an, tu as un alter ego qui rappe en français. Jeune Vamp est là pour le fun ou on peut s’attendre à du sérieux de sa part ?

De base, Yung Vamp ça n’était que du plaisir. Puis c’est devenu mon gagne-pain : ma façon de payer mon loyer, ma bouffe et ma weed. Je suis vraiment dépendant de ça. Hormis la phase marrante avec Jeune Vamp, je le fais surtout par passion et pour kiffer. Je le prends à la rigolade, parce que même si je pop pas dans le rap, j’ai déjà pop dans la trap… Pas besoin de faire un retour en arrière.

Comment s’est passée ta connexion avec Scarlxrd ?

Ça s’est fait progressivement. De base, il m’avait contacté une première fois par mail, à ce moment je n’écoutais pas sa musique et je n’avais pas trop approfondi mes recherches. Après la sortie de Night of the Trill, Vol. 1 il m’a DM en mode : « Bro, je fuck avec ce que tu fais, je veux poser sur des prods dans ton univers. » Je dois être un des seuls producteurs avec qui Scarlxrd a fait des choses différentes de son style habituel, sans crier dans tous les sens. Ce qui m’a trop fait plaisir, c’est qu’il ne m’a pas demandé des type beats. Il rappe sur de la phonk, c’est une vraie collaboration et pas juste un placement.

Tu peux nous en dire plus sur Vamp Corp, la marque de vêtements que tu as lancée ?

J’ai toujours voulu le faire. J’étais déjà dans le DIY à l’époque : je déchirais mes jeans et mes vestes, je fabriquais des patchs, je chopais des papiers semi-plastifiés pailletés où tu peux découper des formes toi-même et les appliquer… J’ai appris la couture hyper tôt avec ma grand-mère, elle avait de très bons goûts en sapes, ça m’a chauffé. Pourquoi je ne m’y suis mis que maintenant ? Car je me suis toujours interdit de faire du merch. Ce n’est pas pour moi, je ne suis pas abonné à ce genre de marques. Si je drop une pièce, je veux que ce soit de la qualité et qu’il y ait un minimum de recherche, pas un simple hoodie avec un logo imprimé dessus.

Et ça avance bien ?

Ouais. Ma casquette de producteur m’a amené un tas de contacts et une certaine hype. J’ai un gros carnet d’influenceurs… Des gars, ils publient une photo et ta marque pop. C’est bien d’avoir des gens comme ça avec toi. Il suffit que tu envoies quelques pièces à droite à gauche et ils font le reste. Quand tu arrives avec une marque de sapes, c’est très dur de commencer de zéro, de te ramener en soirée et d’essayer de passer un pull à un artiste. Je l’ai fait pendant des années avec mes clés USB, à contacter des rappeurs, monter sur scène, me faire virer de soirée pour qu’on se rappelle de mon nom. Je l’ai fait à plus de cent évènements. Au final, des gars comme Thouxanbanfauni se sont souvenus de moi des années après. Le mec m’a revu à Los Angeles, il était là : « Bro, what the hell ? » (rires)

Tu sens que la greffe avec les États-Unis va prendre cette année ?

Ils kiffent les Européens. Par exemple, Maxo Kream, je l’ai croisé pour la première fois dans un studio à Houston. Il était un peu paumé, en me voyant il s’est demandé ce que je foutais là. Je venais de cop ma chaîne, le premier truc qu’il m’a dit c’est : « Tu as de la chance d’être un G et d’être en session avec nous. On t’apprécie, mais si tu étais ailleurs, les gens t’auraient snatch ta chaîne, moi-même je t’aurais dépouillé. » Merci papa Maxo (sourire) ! Blague à part, si tu veux avoir de vraies connexions aux USA, il faut juste avoir des couilles et pas trop se poser de questions. Si les mecs voient que tu es comme eux, ils ne te feront pas chier. C’est une question de respect mutuel.


Texte : Nathan Barbabianca

Crédit : Antoine Roland

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