8GANG, au premier plan

« Les USA ont toujours eu 10 ans d’avance ! » Fort heureusement, ce dicton redondant servi par les boomers qui n’écoutent la musique qu’avec les yeux n’est plus d’actualité. Le public attendait la réunification de 8Ruki et JMK$ sur un même projet depuis 2017, et le duo a répondu présent sur la tape au chiffre d’or 8GANG. Plus besoin de regarder outre-Atlantique pour discerner de quoi le futur sera fait. L’avant-garde se trouve quelque part, entre le sept et le neuf. Sorti le 15 septembre, le projet commun des deux compères de la scène émergente marque un tournant pour leur carrière, leur entourage et le rap français.




Technique secrète de purification de la matière, l’alchimie est une science qui s’étudie par la pratique. En prenant le lead de la nouvelle vague en 2017, 8Ruki et JMK$ n’ont cessé de travailler cette complicité artistique. « Blueface », « Mad Max » et « Précautions », entre autres, laissaient présager un avenir brillant pour les deux hommes tant leurs collaborations marquaient de par leur efficacité. Il aura fallu attendre le 15 septembre 2021 pour découvrir l’univers du 8GANG : un monde infini, unique et éloigné des standards monotones qui composent l’industrie de la musique.

Pas de casquette, pas d’étiquette

Comment faire pour ne ressembler à aucun autre et ne pas trahir son art, tout en proposant de la musique de qualité ? Avoir confiance en soi, et prendre des risques. Cela fait désormais plus de quatre ans que les deux Gs avancent à vitesse grand V sans se reposer sur leurs acquis. Leur zone de confort : l’innovation. On ne pourra jamais reprocher à JMK$ et 8Ruki de servir du réchauffé. Le risque est un milieu apprivoisable, et à ce jeu-là le binôme n’est pas testable.

8GANG commence par un enchaînement que personne n’aurait pu prédire. « Intro », « Miami Vice » et « Barcelone » : trois tracks particulièrement ouverts et simples d’écoute pour les novices. Pas de confusion, les zumbas ennuyantes se trouvent ailleurs. Ici, on redécouvre l’univers des deux rappeurs dans une ambiance solaire qui rappelle Marseille, la Floride ou la Costa Brava au choix. Les sons s’enchaînent et les claques par la même occasion. 8GANG est comme une pieuvre qui explore et s’infiltre dans chaque recoin du spectre musical. Atypiques au possible, les morceaux sont à prendre tels quels sans tenter d’y coller des étiquettes. Les flows sont inédits, 8Ruki maîtrise l’overlap comme personne et les facilités de kickage de JMK$ ne font que de se confirmer. Mention spéciale pour « Alone », le solo de l’artiste 33R, qui peut être fier d’avoir pondu un petit classique.

Le manque de renouveau a ralenti l’industrie musicale française et creusé le fossé avec l’Amérique pendant très longtemps. Ce retard n’est qu’un lointain souvenir à l’écoute de la tape. La variété des titres y est pour beaucoup. On passe de douces vibes, à des couplets tranchants, parfois dans le même son. Mais ce projet marque surtout un tournant au niveau des choix artistiques. Ne pas mentionner les hommes de l’ombre serait malhonnête au vu du casting. On retrouve Binks Beatz, C4000, Soudiere, Milanezie, Brodinski, Amine Edge & Dance ou encore Tony Seltzer. Des sommités de la production reconnues jusque dans la ville du Brick Squad qui s’associent à nos poulains, futurs incontournables.

La famille et l’or

Nombreux sont ceux qui rêvent de connaître la recette du succès. Les cloutchasers se prostituent lorsque 8Ruki et JMK$ cherchent simplement à avancer en compagnie des leurs. L’éthique de travail est primordiale et 8GANG traduit une détermination sans faille. Contrairement à l’époque où les artistes postaient leurs démos sur le cloud, les projets ne sont plus bossés à la va-vite. Tout est étudié pour correspondre à une vision bien précise. Un cap semble avoir été franchi par le binôme, dont la mentale d’avancer en famille n’a jamais bougé d’un iota.

Les producteurs 3G & Bricksy, dans l’entourage du duo depuis toujours, ont évolué avec leurs acolytes. Sur le plan musical, ils les comprennent mieux que personne et sont présents sur le projet avec l’instru de « 8 Symphony ». Un travail magistral ! S.Téban et Decimo sont aussi invités pour représenter le Marseille de JMK$ sur « Secur ». Les globe-trappers n’oublient pas leurs voyages et ramènent le jeune finesseur Rowjay directement de Montréal. La tape prend fin avec l’un des couplets les plus hard du projet. Zaky spit avec une violence sans nom sur « Three Bags », rien d’étonnant pour ceux qui connaissent sa présence scénique lorsqu’il défend ce titre.

En d’autres termes, aucun inconnu n’est présent sur la tape et ce n’est pas par timidité. Faire graille la famille est la seule façon de concevoir la vie pour JMK$ et 8Ruki. Leur projet commun raconte l’histoire d’un groupe d’amis qui croit en son potentiel et qui ne travestira jamais sa ligne directrice pour parvenir aux sommets. La montagne a beau donner l’impression de ne pas pouvoir être gravie, c’est en se tirant chacun vers le haut que le drapeau du huit finira par y flotter pour de vrai. Ne rester que pour une durée limitée ne fait pas partie des plans.

8GANG marque une véritable étape de transition pour 8Ruki et JMK$, mais aussi pour la scène émergente et ceux qui les entourent. Innovants comme personne, les deux rappeurs nous embarquent dans un monde vaste, difficilement qualifiable et salvateur pour le rap français. Accompagné de monstres de la production, le projet ne pouvait que combler les attentes qu’il suscitait. Au-delà de faire du bien à nos tympans, les artistes brisent le plafond de verre qui existe avec le rap US et comblent le retard accumulé par les anciennes générations. Il ne reste plus qu’à continuer de bâtir brique par brique leur empire, et de notre côté, savourer la suite de leurs carrières respectives en solo.


Texte : Ugo Margolis

Crédit : Roxane Peyronnenc

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