Brodinski, le meilleur allié de l’avant-garde

Louis Rogé, que vous connaissez sous le pseudo Brodinski, incarne à la perfection l’idée que l’on se fait de l’artiste tout-terrain. Originaire de Reims, le DJ et producteur fait ses premiers pas dans le monde de la musique électronique et de la techno. Sa trajectoire le conduit rapidement à fonder le label Bromance, où il fusionne avec une nouvelle génération d’artistes prête à marquer son époque. Sa notoriété monte en flèche lorsqu’il collabore avec Gesaffelstein sur le Yeezus d’un certain Kanye West, révélant une confiance accrue en ses capacités à développer son univers. Contre toute attente, et parce qu’il reste avant tout un explorateur en quête de défis, Brodinski déménage à Atlanta en 2016 pour séduire le rap underground de la Big Peach. Réputé pour ses projets audacieux, ses basses saturées et son imagerie unique, le frenchie est à l’avant-garde de l’industrie musicale depuis près de deux décennies. En France, de plus en plus de jeunes talents biberonnés à ses tracks s’alignent sur sa vision artistique. Aujourd’hui âgé de 36 ans, il entame un nouveau chapitre dans sa carrière où il souhaite partager son expérience et donner en retour. Et si finalement, son aventure ne faisait que commencer ?




En 2023, qui est Brodinski ?

Je suis un artiste, un producteur. Définir un sens exact au mot « artiste » est difficile, mais je pense que je peux me joindre à cette catégorie. Je suis un aventurier en quête constante de nouveaux sons depuis maintenant 17 ans. C’est très bizarre de dire ça, car j’ai l’impression d’avoir l’âge que je viens de te citer. J’ai commencé à 18 ans et je viens de fêter mes 36, le temps est passé très vite.

On reste jeune tant qu’on veut bien le rester.

Oui, voilà. Je suis heureux et je fais ce que j’aime, ce qui change tout ! Bien évidemment, je bosse tous les jours, mais je ne pense pas à la retraite. Je pense que la retraite va avec le fait d’avoir exercé un boulot qu’on aime moins et où arrive le moment fatidique du besoin de repos. Moi, je n’ai pas du tout envie que ça arrive ou alors le plus tard possible.

Prendre des pauses, ne rien faire, n’est-ce pas ce qui te fait le plus peur ?

J’ai appris à prendre du temps pour moi. Je peux ne pas créer de son pendant trois mois, revenir et composer des morceaux qui vont avoir une vibe totalement différente. Je me serais inspiré de mes voyages ou d’autres choses réalisées pendant ce temps. Même si ce n’est pas lié à la musique, cela va avoir un impact complet sur celle-ci. J’ai envie de repousser mes limites et pour raconter l’histoire que je souhaite, il va me falloir encore au moins 20 ans.

As-tu toujours eu le luxe de pouvoir prendre ton temps ?

J’ai toujours aimé faire les trucs étape par étape, je n’essaie pas de courir après un effet de mode ou un mouvement. Quand j’ai débuté, je ne m’en rendais pas compte, mais j’étais déjà très patient. De base, on m’appelait surtout pour faire des remplacements en tant que DJ. Je viens de Reims, j’ai tourné dans pas mal de petites dates quand j’étais jeune et que je découvrais encore le milieu.

J’imagine que c’est là que tu as le plus appris.

De ouf ! J’ai vécu trois ans à Lille avant de déménager à Paris, puis j’ai commencé à faire des allers-retours avec les États-Unis, entre autres. Je me disais : « prends le temps et profite », je ne pensais pas que les gens en avaient quelque chose à faire. Je ne voulais pas jouer sur l’effet de nouveauté qui dépérit parfois rapidement. À l’époque, je réfléchissais moins. Je peux t’en parler aujourd’hui, mais il s’est passé 15 ans pour que j’en arrive où je suis.

La période Bromance a sans doute été elle aussi très formatrice.

Dès le commencement, on a sorti des projets électro et rap. La deuxième release était Danny Brown avec le duo anglais Evil Nine. En 2013, on a eu le plaisir de bosser sur Yeezus avec Gesaffelstein, ça a tout changé. Je jouais dans des clubs en France, et là, d’un coup, je me retrouve en studio et je réalise que notre son peut coller avec un type de l’envergure de Kanye West. Travailler sur cet album m’a vachement ouvert les yeux sur la possibilité d’aller au bout de mes idées. Lorsque j’ai deal mon premier album, je me suis dit qu’il devait être la pierre angulaire du travail que j’avais envie de développer pour les 10 ou 20 années à venir. On y est, Brava aura 10 ans en mars prochain.

Dans une interview pour Clique, tu dis que le nom des artistes présents sur tes opus n’a plus la même importance qu’avant. Tu dis aussi que Brava est un album, alors que tu appelles tes autres productions des « projets ». Est-ce que ton avis a changé depuis ?

J’ai passé énormément de temps sur Brava. Je me suis dit que les rappeurs avaient accepté de venir dans mon monde et que c’était à mon tour d’aller dans le leur. Début 2016, je suis parti m’installer à Atlanta et ma vraie aventure a commencé. C’est à cette période que j’ai créé The Sour Patch Kid, mais ça ne devait pas être un projet. En allant à ATL, je me suis dit : « je vais investir, analyser, contacter les gens que j’aime et seulement ensuite travailler ». J’ai capté Hoodrich Pablo Juan, 21 Savage, Young Nudy, Johnny Cinco, mais également des gens comme B La B, Yakki ou Bloody Jay avec qui j’avais déjà connecté par le passé.

Je me souviens de ce fameux clip où vous fumez de l’opium.

Bien sûr, c’était en Chine ! On a tourné à Shanghai. Je me suis dit qu’on avait l’occasion de faire les choses pour de vrai pour cet album, mais on n’a pas fumé d’opium, c’était que pour la vidéo (rires).

Lorsque tu collabores avec un artiste, vous sortez en quelque sorte tous les deux de votre zone de confort.

En 2015, je souhaitais que Brava continue de vivre grâce à moi. Il fallait que j’imprègne mon style afin de donner le ton que j’imaginais à mon univers. Quand j’ai proposé aux rappeurs d’Atlanta de produire pour eux, ils m’ont dit non ! Ils avaient envie que j’amène mon délire plus loin et étaient chaud d’y participer activement. J’ai compris à ce moment que je devais ressortir un projet avec ma démarche, mon image. J’ai fait en sorte de réunir des rappeurs autour du message que j’avais envie de faire passer et ça a donné Brain Disorder. Les choses se sont enchaînées très vite. À ce moment, j’ai eu la chance de travailler plus dans le détail avec Hoodrich Pablo Juan.

Ce qui a donné The Matrix. Le plan où il donne une liasse à un gosse allemand dans « International » m’avait bien fait marrer.

On a tourné cette vidéo lors de sa venue à Berlin pour un show. Je suis très content qu’on ait fait cet album avec Pablo, c’est une belle démonstration musicale de quelque chose de vraiment différent. Il a accepté le challenge, de mon côté je préfère expérimenter avec de jeunes artistes plutôt qu’avec quelqu’un qui a déjà percé. Quand je réécoute ce projet, j’ai l’impression d’être dans un film, il faut être très attentif à ce qu’il raconte. J’ai toujours voulu mélanger l’imagerie à la musique pour que la balance permette aux gens d’avoir une expérience plus poussée qu’une sortie classique.

L’autre fois, tu m’as confié qu’il était le rappeur le plus impressionnant que tu avais eu sous tes yeux en studio. Qu’a-t-il de si spécial ?

Après Kanye West, quand même (sourire). Parmi mes rencontres à Atlanta, il est l’une des personnes avec lesquelles j’ai le plus apprécié collaborer. Un jour il m’a dit : « si je ne peux pas poser sur ta prod, c’est que je suis à chier ». J’ai reconnu l’aspect sportif du rap qui n’existe pas dans la musique électronique où tout le monde est extrêmement gentil. Du moins, les gens que j’ai rencontrés au début de ma carrière ont tous été bienveillants avec moi. Je pense à Pedro Winter, DJ Mehdi mais aussi des Erol Alkan… Je ne dis pas que dans le rap, les gens ne le sont pas, mais ils se disent les choses clairement et la concurrence pimente le tout. Ce côté compétitif, il faut savoir en saisir la beauté. Hoodrich Pablo Juan, il m’arrivait de lui jouer trois prods jusqu’à ce qu’il m’ordonne de mettre n’importe laquelle, et là il commençait à rapper de dingue. Cette énergie était aussi présente quand on a fait « Rock Out » avec Lil Reek.

Il s’agissait de son premier titre ?

Il en avait déjà sorti auparavant, mais celui-ci a tout changé.

Vous aviez obtenu un deal avec Worldstar, c’est ça ?

Oui, mon collaborateur et ami Will Hoopes travaillait avec Worldstarhiphop. C’est Kim Chapiron de Kourtrajmé qui a tourné le clip. Reek a eu énormément de retombées, la période était assez intense car on voulait pousser les choses assez loin pour lui. J’ai essayé de l’aider non pas que sur l’aspect de la musique mais de son développement en tant qu’artiste.

Est-ce que l’album avec Blo a marqué un nouveau shift dans ta façon de créer tes projets ? Il s’agit du premier dans lequel tu es producteur exécutif d’un rappeur et récemment on te voit de plus en plus occuper ce poste.

Pour être honnête, ça part d’un côté pratique. L’élaboration du projet a été assez laborieuse, on a passé deux ans de sessions intensives avec Hoodrich Pablo Juan. Le shift vient plus du fait que je travaille désormais avec moins de rappeurs installés, mais plutôt pour des artistes en début de développement comme Reddo, 645AR, Tony Shhnow, BigSmokeChapo… À la suite de mes trois vrais premiers opus, Evil World a été la dernière grosse brique ajoutée à mon édifice. Un label ricain m’a approché, ils m’ont dit : « on aimerait sortir un truc avec toi, on écoute tes idées ». Un concept me traînait dans la tête, je l’ai peaufiné avec le graphiste Philippe Cuendet. Je n’imaginais pas du tout que ces 14 tracks finiraient ensemble, ça a été un travail d’adaptation et de dernière minute. Travailler avec autant d’artistes à la fois peut s’avérer contraignant, je pense d’ailleurs que ce sera ma dernière compilation.

Avant que Bromance ne ferme boutique au bout de cinq ans, vous aviez ramené Ikaz Boi et Myth Syzer dans le label. Je crois d’ailleurs que c’est un peu grâce à toi que Syzer s’est connecté avec Young Nudy.

Il m’avait laissé un pack de prods, j’en avais fait écouter une à Nudy et il avait bien accroché. Que ce soit Syzer ou Ikaz, ils étaient vraiment partants pour l’aventure et je leur en suis encore reconnaissant aujourd’hui. Ils m’ont suivi dans mon petit délire, tu vois ce que je veux dire ? Dans un monde qui est lié aux chiffres, aux likes et aux disques de platine, je trouvais ça hyper courageux de leur part de prendre ce virage si risqué pour leur carrière. L’énergie que tu as en tant qu’artiste ne dure pas pour toujours, et le label s’est arrêté pour ça en quelque sorte. On voulait tous prendre des chemins différents. Que ce soit Louisahhh ou Gesaffelstein, ils ont tous développé leur style et trouvé leur voie, c’est génial. On ne peut plus avoir les mêmes relations qu’à l’époque, tout était extrêmement fusionnel. Il n’y a jamais eu de bad blood entre nous et je suis content qu’on ait arrêté avant qu’on ait eu le temps de se prendre la tête.

J’ai vécu de l’extérieur une période où les gens attendaient de toi des sets techno/électro quand tu préférais proposer des mix bien trap. Ça t’a saoulé de devoir réaffirmer ton identité ?

Peut-être qu’au début, ça pouvait prendre un peu de place dans ma tête, mais j’ai très vite appris à l’accepter. En fait, c’est juste moi ! Sinon, j’aurais changé de nom, j’aurais fait quelque chose de secret ou je serais complètement passé derrière le rideau en utilisant mon vrai nom. Il existe une place pour chaque musicien dans ce monde, j’ai juste envie d’écrire mon histoire encore quelques dizaines d’années. Le bilan, on pourra le dresser seulement à ce moment.

Plus tôt, tu as évoqué tes mentors. Quelle est ta relation avec Pedro Winter ?

Un jour, Jwles m’a dit un truc qui résume assez bien Pedro : il aide les gens sans même s’en rendre compte, il est comme ça. Il m’a permis de rencontrer des personnes avec qui j’ai bossé pendant des années par la suite. En 2023 encore, il m’a invité pour l’anniversaire d’Ed Banger Records, c’était un honneur absolu. Une photo très connue de moi circule lorsque j’étais adolescent et qu’ils étaient passés à Reims. On me voit au premier rang avec une tête de gamin. Ils n’arrêtent pas de me dire : « tu te souviens quand on était venus à la pizzeria ? » Ce n’était pas une pizzeria, mais pas grave, la soirée était incroyable (rires). Ces mentors que je t’ai cités, ils m’ont inspiré à devenir qui je suis. Je pense aussi à DJ Feadz, un vrai OG de ce mélange en France, de cette attitude décomplexée du DJ qui joue aussi bien du baile funk que de la techno ou du rap. Pour lui, tout ça ne compte pas, il n’existe que la notion de bonne musique.

C’est ce qui te pousse aujourd’hui à avoir ce rôle pour certains artistes avec qui tu collabores ?

Quand j’ai débarqué à Atlanta, j’ai eu une prise de conscience. Je me suis rendu compte que je travaillais avec des gens qui avaient 10 ans de moins que moi et qui géraient plein de choses à la fois. Des tas de problèmes de la vie de tous les jours, en plus de s’occuper parfois de leurs petits frères et sœurs. Pour les aider, je devais faire plus que de produire des tracks. Ce n’est pas que je manquais de responsabilités, mais je n’avais vraiment pas l’impression d’en avoir comparé à eux. J’ai extrêmement de chance dans ma vie. Si j’ai appris, je dois transmettre. Je ne pouvais pas être ce mec de 28 ans qui vient pour flex et faire la même chose que tout le monde. Je souhaitais leur faire comprendre les contrats de publishing, de mastering, ce qu’est un contrat de management ou un 360. En gros, qu’ils captent ce qu’ils allaient être amenés à signer tôt ou tard. Ça m’a fait peur pendant des années, parce qu’on est des artistes. On n’a pas forcément un naturel business et ce travail relève de l’administratif. Aujourd’hui, je mets vraiment l’accent là-dessus. On l’a fait pour moi, on m’a donné des conseils honnêtes, pas du tout biaisés et intéressés. Attention, je n’ai pas réponse à tout, je ne suis pas le plus savant de ce game, mais on peut discuter et je suis en mesure de mettre la lumière sur pas mal d’éléments de cette industrie.

Toi qui es toujours à la pointe de ce qui sort, comment est-ce que ta façon de découvrir des sons a évolué depuis les beaux jours de LimeWire ?

Les habitudes ont changé, mais le temps et l’énergie que je mets dedans restent les mêmes ! Quand j’étais plus jeune, je téléchargeais tout illégalement, je récupérais des albums, jusqu’à ce qu’on commence à s’échanger des blogs… Et Spotify est arrivé. Moi, je ne vais pas te mentir, je ne croyais pas du tout au streaming. Peut-être que notre son est futuriste, mais j’ai du mal à chambouler mes habitudes si au premier abord les changements ne me plaisent pas. D’accord, on peut écouter ce qu’on veut, mais les politiques qui vont autour, bref. La personne qui défend nos intérêts d’artistes ne nous ressemble pas vraiment au final. Je ne fais pas de généralités, c’est juste un constat de l’évolution globale des choses. Sinon je continue de me balader sur Bandcamp, SoundCloud ou des sites spécialisés, mais si je veux être sûr de ne pas rater les sorties des gens que j’aime bien, je m’abonne directement à leurs réseaux sociaux.

Tu n’es pas encore prêt à passer sur Tik Tok ?

À mes yeux, cette application relève trop du personnage. Pendant des années, j’ai organisé des shootings et tourné des vidéos. Tant mieux, je ne regrette absolument pas d’avoir créé une sorte de rôle. Aujourd’hui, apparaître n’est plus important pour moi. Ça a soigné mon égo, mais je ne me marre plus en jouant de mon image. Lorsque je parle des réseaux sociaux, de Spotify, de tout ça, c’est surtout pour dire aux gens qu’il ne faut pas être démotivé par le système qui les entoure. Tu ne sais jamais qui t’écoute, et c’est selon moi ce paramètre qui fait toute la différence. Je suis l’exemple parfait du gars qui a continué à faire son truc, je suis resté serein même si ça n’a pas toujours été facile. Avoir confiance en soi, son travail, son entourage, ça a plus de valeur que tout le reste. Des fois, je reçois un DM d’un musicien qui me dit qu’il a adoré un track. Par exemple, ce groupe de techno qui s’appelle Overmono. Ils ont drop un single dans lequel ils samplent un titre à Reddo et moi. Peu de gens avaient entendu ce morceau, mais Overmono l’a pisté. C’est une vraie récompense que mon travail soit repris, ils ont écouté des millions de titres dans leur vie et ont choisi celui-ci en particulier (sourire) !

On te voit de plus en plus associé au producteur Modulaw. S’agit-il d’une nouvelle bromance ?

D’une certaine façon, oui. J’ai un ami musicien qui s’appelle Xavier Stone, on se connaît depuis assez longtemps. Il est signé sur Fractal Fantasy de Sinjin Hawkes et Zora Jones. On est devenus amis car on avait énormément de connaissances communes. En 2019, il me dit qu’il a un pote beatmaker assez chaud et que sa musique pourrait me plaire. Modulaw m’envoie alors 10 prods que je trouve vraiment fortes, et à partir de là on s’est connectés pour composer ensemble. Au départ, ce n’était que de simples collabs, mais maintenant on est sur des projets entiers tous les deux.

Vous êtes sur quoi à l’heure où l’on se parle ?

On a plein de trucs sur le feu avec des rappeurs et on travaille tout le temps sur des nouveaux beats. Modulaw est en train de s’affirmer en solo. Il vient de sortir IGNITION, un EP sur lequel tu peux retrouver RXK Nephew, Rad Cartier ou encore Princesa28 qui est une artiste de Popstar Benny. Il a ramené du beau monde et bosse déjà sur la suite pour 2024. Je ne veux pas le surcharger de missions, il faut qu’il ait le temps de se concentrer sur lui.

Parmi les artistes que tu as pu inspirer, un projet en particulier me fait penser à toi : Spin The Globe de Blasé, Jwles et toute l’équipe qui sont partis à Atlanta pour se connecter avec des rappeurs émergents.

Figure-toi que j’ai rencontré Jwles grâce à cette démarche. DJ Slow m’a dit : « Blasé part à Atlanta, il aimerait rencontrer des gens », donc je les ai invités à l’exposition de mon ami photographe Vincent Desailly qui sortait le livre The Trap. La release était à Paris, Jwles et Blasé sont venus à ma rencontre pour me parler de leur concept. Je ne pouvais pas les connecter avec tout le monde, je ne connaissais pas assez bien certains artistes. J’ai établi une liste et ils ont contacté toutes ces personnes en plus de capter d’autres gens avec qui ils parlaient déjà. J’ai bien accroché avec Jwles, c’est un gars super qui en plus me fait vraiment tripper.

Qu’est-ce qui t’a poussé à revenir en France et travailler avec l’underground ?

On a vraiment de la chance d’assister à ce renouveau dans le rap francophone. En plus, les artistes ont beaucoup de choses à raconter. Pour avoir vécu les différentes époques du rap, dont celles où ce n’était pas encore très bien accepté et où le grand public appelait ça le style urbain, je ne peux qu’être très optimiste quant au présent et à l’avenir. De base, je n’étais pas sûr de vouloir travailler avec des rappeurs français, personne ne me disait qu’il y avait un truc à faire autour de mon son. Depuis 2018, je croise pas mal de jeunes talentueux qui apprécient ce que je fais, ça tue !

Winnterzuko, Sadansolo, 8Ruki… La liste commence à être fournie.

C’est le but. Là, récemment, j’écoute Ptite Sœur. C’est quelqu’un qui n’a pas 20 ans je pense, et elle a un son qui est tellement du futur, mille fois plus que ce que je peux imaginer dans le fond de mes pensées. La Fève est passé à Atlanta, je l’ai connecté hier avec Blackcard, Popstar Benny, SenseiATL. Lyele, un de ses potes qui produit, voulait bosser avec 1504 Mutebaby. J’ai dit : « allez hop, on règle le compte » et Nutso Thugn est entré dans la boucle. Pourtant, je n’ai jamais rencontré Mutebaby, mais j’ai bossé avec 21 Savage, Young Nudy, PDE NuttSane, plein de gens de son monde… Là-bas, tout est lié. Ce sont ces petits liens qui font que quand j’écris à 1504 Mutebaby pour le prévenir qu’un artiste français est en ville et veut se plug avec lui, il accepte. Et ça, ça n’a pas de prix (sourire).

Quel conseil donnerais-tu à un jeune qui veut se lancer ?

N’écoute personne, fais ce que tu veux, ne fais pas ça pour les mauvaises raisons. Ne cours pas après la reconnaissance juste pour avoir cette adrénaline que donnent aussi bien les réseaux sociaux que la scène. Essaye de penser avec trois coups d’avance, tout le temps. Prends ton temps pour développer tes projets et écoute-toi avant tout, surtout au début. Bon, ça fait un peu Jean-Claude Van Damme (rires) !

Tu as fait plusieurs fois le tour du monde, joué dans les clubs les plus iconiques, participé à plein de projets… Lorsqu’on t’appelle pour réaliser la bande originale du nouveau Need For Speed, ça représente quoi, une quête annexe ?

Je n’ai jamais été un grand gamer, mais j’ai toujours pensé que le jeu vidéo était l’un des moyens les plus intéressants pour choquer les esprits avec de la musique. Les gens jouent, et même si les morceaux passent en fond, ils ont leur importance. Regarde juste GTA, c’est le meilleur exemple. Quand Gesaffelstein a placé son remix de The Hacker dans GTA V, je me souviens lui avoir dit qu’il ne réalisait pas la folie que c’était. Ce n’est pas une question d’argent, mais d’influence. Pour Need For Speed, j’ai accepté tout de suite après avoir reçu la proposition. Je me suis mis à la place d’un ado de 14 ans qui n’est pas forcément sensible à notre monde et qui joue à ce jeu : le soundtrack doit lui mettre une énorme tarte et pousser son immersion encore plus loin.

Un dernier mot pour nos lecteurs ?

Aujourd’hui, j’ai collaboré avec des dizaines voire des milliers de personnes. Je continuerais tant que je serais inspiré ! Je ne me considère pas comme vieux, mais je me rends compte que je travaille avec des artistes de plus en plus jeunes. Ça y est, je suis finalement devenu un OG… Je vais devoir assumer ce rôle.


Texte : Nathan Barbabianca

Crédit : Mobius Visio

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